C'est peut être un
peu tôt mais Jean-yves allume sa clope.
Il tape.
"j'ai décidé de
faire ce blog pour exprimer…"
Non, ça c'est pas
possible. Des blogs "Moi-je!" y en a déjà pleins, il sont pour la
plupart totalement inutiles et pour le reste trop bien foutus pour risquer la
comparaison. Il faut quelque chose de plus original, percutant et rock'n'roll. Ou au moins un parti pris.
Enfin... au moins quelque chose quoi...
"Autant te
répondre de suite la réponse est non.
Non, je t'aime pas,
non ça m'intéresse pas de savoir ce que tu penses (donc tes coms' tu peux te
les carrer dans le cul) et non, j'en ai rien à foutre de ta gueule. Si t'es là
à me lire c'est que t'aime ça et tu restera. Et puis de toute façon je fais ce blog pour moi et moi seul, si t'es pas
content barre toi. J'y raconterai ce que je veux, même si je sais que t'es pas
capable de comprendre la moitié des mots que j'utiliserai."
Non, vraiment pas.
On dirait du Didier
super sans talent et surtout sans prétention à en avoir. T'es trop vieux pour
ça Jean-Yves.
"C'est ici que
vous trouverez mes réflexion et mes analyses sur le monde qui nous entoure et
qui n'est pas toujours facile.
Bien sur, ce que je dit n'engage que moi et je
sais que vous pouvez ne pas être d'accord. D'ailleurs ce sera aussi l'occasion
d'en discuter, d'utiliser ce formidable outil qu'est Internet pour créer un
vrai dialogue entre des gens qui ne ce serait surement pas rencontrer
autrement.
Alors allons-y, asseyez vous, faites comme chez vous et ouvrons le
débat. Est-ce que vous pensez pas que…"
Le troisième mégot
s'écrase dans le cendrier et Jean-Yves
se dit que c'est aussi la place de la
bouze qu'il est en train de pondre.
"Est-ce que
vous pensez pas que la guerre c'est mal et que si les méchants étaient plus
gentils le monde il serait mieux?"
Trop bien.
"Et puis pour
illustrer le débat je vous propose d'écouter ma webradio avec Tryo!"
C'est con comme on
peut se faire rire tout seul quand on écrit.
"Est ce que
vous pensez pas?" ça colle bien en tout cas, ça pète et c'est presque français. Ça pourrais même faire un bon
nom.
Jean-Yves se lève et
apprécie modérément la sensation que peut générer la séparation brutale entre
son cul nu et le cuir du fauteuil qu'il s'est payé pour noël. Un coup d'œil à
la perspective cendrier-clavier-écran lui fait constater que ces efforts depuis
tout à l'heure ne sont pas glorieux. Trois mégots et un écran désespérément
rempli des mêmes merdes qu'il regrette de voir à chaque fois qu'il se décide à
faire un tour de Net.
"Ce sera le
blog de mes pensées du jour.
Tous les jours une
nouvelle pensée qui variera selon mon humeur, qui pourra être drole, cinglante
ou pleine d'espoir.
On dit partout qu'on
peut trouver tout et rien sur le net, je constate surtout que c'est le rien qui
remonte dès qu'on remue un peu."
Tout et rien…surtout
rien. Encore un bon titre.
Une belle
allitération en teu reu, minable comme un mauvais rap pseudo romantique mais en
un peu plus pauvre. Faudrait en mettre une autre couche pour que ça colle bien.
Tout et rien,
surtout rien, rien du tout entouré du grand tout. Un toutou qui n'a rien un
aryen qui sait tout. Maman, tu m'as donné tout, et sans toi je ne serais rien.
Jean-Yves ne prendra
même pas le temps de la noter celle-là, de toute façon le café est prêt c'est
l'heure de la pause.
Café-clope-caca-douche,
pas très original tout ça mais il parait que ce genre de petit rituel t'aide à
avoir un équilibre dans ta vie de tous les jours.
Quelques idées sont
arrivées sous la douche. Il a immédiatement laissé tombé la première, il avait
autre chose à faire de sa vie qu'essayer de placer tous les jours dix adjectifs
aux hasards dans un paragraphe traitant de la première chose qui lui passerait
par la tête.
Déjà parce que pour faire ce genre d'exercice de
"style" faut savoir écrire, ensuite parce qu'il allait falloir
trouver un générateur d'adjectif sur le net, et surtout parce que ça allait pas
être intéressant.
Les autres valaient
pas mieux.
Retour du cul sur le
cuir, mais avec un intermédiaire c'est mieux.
Une demi-heure à
fixer l'écran sans avoir la moindre pensée. Jean-Yves a compris ce qu'allait
être le reste de sa journée, un ressassement de ce qu'il était en train de se
passer (=rien) avec une petite dose de remords parce qu'il était pas capable de
se tenir a ce qu'il avait décider de faire. Incapable de se fixer sur une idée,
de passer de la théorie à la pratique.
Il se dit que la
seule chose qui pourrait lui épargner ça serait de réfléchir aux raisons qui
ont amenées cette idée de vouloir absolument faire un blog. Ça l'aiderait pas à
oublier qu'il est pas arrivé a finaliser trois phrases mais au moins, ça lui
donnerait l'occasion de râler après lui-même, de s'en vouloir encore un peu et
de rester sur des sentiments connus et qu'il n'aura pas à extérioriser. C'est plus simple quelque part.
L'horloge indique
7h.
C'est peut être un
peu tôt mais autant aller au boulot maintenant.